Sonos mise sur la radio : cinq réflexions

21 avril 2020 à 09:00

Alors que le fabricant de haut-parleurs intelligents Sonos doit se battre dans un marché de plus en plus chargé, l’entreprise américaine mise désormais sur une vieille technologie pour se démarquer de ses concurrents : la radio.

L’idée n’est pas mauvaise. Même si on associe habituellement Sonos aux services en ligne comme Spotify ou Apple Music, les propriétaires des haut-parleurs de l’entreprise dédiraient la moitié de leur temps passé sur un produit Sonos à écouter la radio, m’a confié la semaine dernière le directeur au marketing de produit chez Sonos Ryan Richards, lors d’une rencontre (confinement oblige) par vidéoconférence. « La radio est extrêmement importante pour nos utilisateurs, et nous croyons que c’est un des éléments où nous pouvons offrir une valeur ajoutée », estime-t-il.

Jusqu’à présent, l’écoute de radio sur un système Sonos devait passer par un service comme TuneIn, où des milliers de stations (incluant des stations québécoises) sont répertoriées. Les services du genre seront toujours offerts dans l’application Sonos, mais l’entreprise offrira désormais en plus trois nouvelles façons d’écouter la radio :

Sonos Radio rassemblera tout d’abord toutes les stations de radios déjà offertes sur les services Internet comme TuneIn et iHeartRadio. Il s’agit d’un service gratuit, pour lequel il ne sera pas nécessaire de s’enregistrer, mais avec de la publicité.

L’entreprise lance aussi aujourd’hui Sonos Sound System, une chaîne de radio qui rappelle Beats 1 d’Apple, avec de la musique diffusée en direct, des artistes invités et plus, le tout sans publicité. Sonos offrira aussi une trentaine de chaînes selon des genres musicaux, avec publicité. « Nous voulons proposer un mélange entre des pièces connues, mais aussi des chansons plus obscures, car nous espérons qu’elles permettront aux amateurs de découvrir de la musique », explique Ryan Richards.

Le volet le plus intéressant de Sonos Radio est toutefois une section offrant de la musique sélectionnée par des artistes, comme Thom Yorke de Radiohead et David Byrne de Talking Heads. Chaque artiste aura évidemment carte blanche, et pourra faire jouer ce qu’il veut, et changer ses listes de lecture quand bon lui semblera (David Byrne promet par exemple de le faire tous les mois).

Je n’ai pas encore eu l’occasion d’écouter Sonos Radio, qui entre en service aujourd’hui avec une mise à jour logicielle. Voici néanmoins cinq réflexions pour offrir un peu de contexte sur ce lancement.

Sonos a besoin de se démarquer

Sonos a besoin de se démarquer. L’entreprise peut compter sur la fidélité de sa clientèle actuelle (du moins, ceux qui n’ont pas été échaudés par leur annonce ratée en début d’année), mais il y a encore beaucoup de familles qui ne possèdent pas de haut-parleur intelligent.

Il y a cinq ans, Sonos était presque leur seule option. Aujourd’hui, Google, Apple et Amazon, pour ne nommer que ceux-là, offrent aussi d’excellents appareils. Et, surtout dans le cas d’Amazon, ils offrent des modèles de plus en plus variés.

Si Sonos ne veut pas devenir un joueur marginal dans l’industrie, l’entreprise se doit de continuer d’en offrir plus que les autres. La radio est une des façons d’y arriver.

La radio est (toujours) un média d’avenir

Même si les médias sont en crise, la radio, elle se porte bien. La proportion des personnes qui écoutent la radio, le temps passé à l’écouter par semaine et les revenus ont été assez constants pendant la dernière décennie, malgré la montée de baladodiffusions et des services de diffusion en ligne.

Le fait que les utilisateurs de Sonos – généralement technophiles – passent la moitié de leur temps sur Sonos à écouter la radio est d’ailleurs la preuve que cette dernière est toujours importante.

À cet égard, miser sur la radio n’est donc pas une mauvaise idée pour Sonos.

D’autres ont essayé la même chose. Sans succès.

Lors de ma conversation avec Sonos la semaine dernière, l’entreprise m’a expliqué que leurs recherches démontrent que leurs utilisateurs ont de la difficulté à découvrir de la nouvelle musique. « Il y a énormément de choix, et ça devient une sorte de cacophonie d’options », m’a expliqué Ryan Richards.

À la manière de la célèbre bande dessinée de XKDC, l’entreprise a donc opté pour… offrir un choix supplémentaire!

Le raisonnement est que l’offre de Sonos sera meilleure que les autres, grâce à la qualité de leurs équipes. Peut-être que c’est vrai. Peut-être que non. Chose certaine, Sonos n’est pas la première entreprise à tenter un coup du genre. Apple l’a aussi fait (sans grand succès), avec sa station Beats 1, et des dizaines de services web offrent la même chose.

Qu’est-ce que Sonos a de plus à offrir que les autres? L’accessibilité, selon Ryan Richards. Les utilisateurs de Sonos utilisent déjà leur application pour écouter de la musique. Trouver une radio à son goût ne demande que quelques clics de plus.

Est-ce que la simplicité et la qualité de Sonos Radio seront suffisantes pour que l’entreprise réussisse où d’autres ont échoué? Cela reste à voir.

Un service mondial, dans un monde local

Pour moi, Sonos Radio souffre toutefois de la même faiblesse que les autres produits du genre : il s’agit d’un service qui se veut mondial, dans un monde qui est, je crois, toujours local.

Il y a quelque chose de très américain dans l’idée qu’une radio peut toucher toute la planète. D’un pays à l’autre et d’une région à l’autre, les goûts sont toutefois différents, la musique est différente et l’information est différente (il n’y a pas de radio parlée sur Sonos, mais l’information est présente sur les radios locales).

Le monde est plus interconnecté que jamais, et un artiste peut rejoindre des auditeurs dans plus de pays que jamais auparavant. Mais la culture locale (au sens large) demeure importante. C’est plus difficile avec la télé et le cinéma, en partie à cause de la taille des budgets et de la quantité de contenu offert, mais à la radio, je crois que les différences d’une région à l’autre limiteront toujours le potentiel de ces radios qui visent un marché mondial.

Sonos Radio ne sera pas un succès garanti, mais son lancement représente heureusement un bien faible risque pour Sonos. Le service ne coûtera après tout pas très cher à offrir. On peut imaginer que les stations par genres, dont le contenu provient de Napster, sont autofinancées par la publicité, tout comme le service qui intègre TuneIn, iHeartRadio et cie. Sonos Sound System coûtera un peu plus cher, mais le service est enregistré dans le magasin de Sonos à New York, et principalement produit par les employés de l’entreprise.

C’est d’ailleurs pour cette raison que l’entreprise n’offre par exemple pas de contenu localisé dans le monde avec Sonos Radio, ni de contenu parlé exclusif (comme des baladodiffusions), ce qui aurait fait grimper la facture.

Acheter son indépendance

Est-ce pour dire que Sonos Radio représente une annonce sans importance? Pas du tout.

Le lancement de Sonos Radio s’inscrit en effet dans une stratégie à long terme de l’entreprise, qui aimerait réduire sa dépendance envers ses partenaires commerciaux (rappelons que Sonos a intenté une poursuite contre Google en début d’année).

Non, Sonos Radio ne remplace pas Alexa ou l’Assistant Google, mais le nouveau service permet au moins à Sonos d’offrir directement de la musique à ses utilisateurs.

Présentement, Sonos est à la merci de Google, Apple et autres Spotify, qui pourraient décider du jour au lendemain de retirer leurs services (vocaux ou musicaux) de la plateforme.

Sonos Radio représente une option à peu de frais pour réduire un peu cette dépendance, tout en permettant à l’entreprise de rejoindre un maximum d’utilisateurs.

Tags: