Le grand public adopte les jeux vidéo

15 janvier 2009 à 17:12

casual gamingPendant que les habitués des jeux vidéo continuent d’annihiler zombies et extraterrestres, de nouveaux adeptes utilisent leurs consoles pour créer des jardins, faire des casse-têtes et même cesser de fumer! Bienvenue dans l’univers des jeux vidéo grand public.

Michèle Hamelin est à l’antipode du cliché du gamer – ce jeune homme au teint exsangue, plus intime avec Lara Croft qu’avec sa propre famille. Elle a 53 ans, habite Blainville et occupe un poste d’adjointe administrative.

Pourtant, c’est sur elle et ses semblables que les concepteurs de jeux et de consoles comptent pour faire croître leurs rangs d’aficionados. Depuis deux ans, elle s’amuse avec une Nintendo Wii, la populaire console du géant japonais. Elle joue à des jeux simples tel Wii Sports, qui permet notamment de manipuler la manette comme s’il s’agissait d’un bâton de baseball pour frapper des balles virtuelles. «C’est un passe-temps, comme lire ou faire des casse-têtes, explique-t-elle. Sauf que c’est bien plus amusant que les casse-têtes!»

Même sa mère de 78 ans est conquise, et les deux femmes s’affrontent de temps en temps au tennis virtuel. «Pour une personne comme elle, avec moins de réflexes, c’est important que le jeu soit facile, pour pouvoir s’améliorer. Ça incite à continuer», avance Michèle Hamelin.
Après plusieurs années à courtiser les joueurs inconditionnels, l’industrie du jeu vidéo se tourne désormais vers les néophytes.

Sans délaisser leur ancien public – pour qui ils continuent de développer des jeux sophistiqués, campés dans des univers complexes, avec des scénarios élaborés dont la réalisation nécessite des heures (Half-Life, Gears of War, World of Warcraft, etc.) –, les développeurs de jeux vidéo proposent de plus en plus de produits aux joueurs occasionnels.

Ces jeux grand public (aussi appelés jeux pour tous, jeux occasionnels et casual games) sont reconnaissables à leurs parties courtes, leurs règlements simples et leur facilité d’exécution (pas besoin d’avoir la coordination de Barry Bonds pour frapper des circuits à Wii Sports).

Aventure, action, activité physique, casse-tête : ils touchent à tous les genres et se retrouvent sur une multitude de plateformes, du téléphone cellulaire à l’ordinateur. Par exemple, Scene It? Lights, Camera, Action mesure les connaissances cinématographiques des joueurs sur la console Xbox 360. Nintendogs permet de s’occuper d’un chien virtuel sur la console portable Nintendo DS. Il y a aussi Scrabble, une version électronique du populaire jeu de mots croisés sur le réseau social Facebook, et quelques milliers d’autres titres offerts en ce moment sur le marché.

Petite histoire
Les jeux vidéo grand public ne datent pas d’hier. Le célèbre (et simple comme bonjour) Tetris, par exemple, connaît un immense succès depuis les années 1980. «Mais le concept de casual gaming est surtout populaire depuis deux ans et demi», précise Laurent Michaud, auteur d’une étude sur ce phénomène réalisée en 2008 pour le compte de l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE).

Selon lui, deux éléments ont contribué à l’éclosion de ce marché. Au début des années 2000, des petits jeux simples, s’apparentant souvent à des casse-têtes, apparaissent en masse sur Internet, développés par des compagnies comme PopCap et Big Fish. Ils remportent un énorme succès auprès des adultes non joueurs, qui terminaient à l’époque leur apprentissage du Web.

Parallèlement à cette montée des jeux en ligne, Nintendo voit son chiffre d’affaires diminuer. «La solution la plus simple pour relancer nos ventes était d’élargir notre marché», raconte Matt Ryan, porte-parole canadien de la compagnie.

Le géant japonais lance donc en 2004 la Nintendo DS (un petit appareil portable muni de deux écrans tactiles) suivie, en 2006, de la Nintendo Wii. Sans être exclusivement conçus pour les jeux grand public, les deux appareils leur sont particulièrement bien adaptés, grâce notamment à leur simplicité. La compagnie cible ainsi un public de 5 à 95 ans.

Leur succès est fulgurant. La DS est aujourd’hui la console la plus vendue de l’histoire de l’industrie (84 millions d’unités) tandis que la Wii demeure extrêmement difficile à se procurer, plus de deux ans après son lancement.

«Ce ne sont pas forcément les mêmes personnes qui jouent sur Internet et à la Wii ou à la DS, indique Laurent Michaud. Mais Nintendo, en tant que compagnie bien établie, a consolidé le phénomène et lui a donné une certaine crédibilité.» Depuis, à peu près tous les gros noms de l’industrie, de EA Games à Microsoft, ont emboîté le pas au géant japonais et développent des produits pour les joueurs occasionnels.

Et ça marche. Selon l’étude de l’IDATE, avec des revenus mondiaux estimés à environ 14 milliards de dollars en 2008, les jeux grand public représentent désormais le tiers de tout le marché des jeux vidéo. Une proportion qui pourrait atteindre 50 % d’ici à 2012, d’après Laurent Michaud.

Par ailleurs, l’Entertainment Software Association of Canada (l’association canadienne des éditeurs et distributeurs de jeux vidéo) estime aujourd’hui que les joueurs canadiens sont composés presque également de femmes (49 %) et d’hommes (51 %) et qu’ils ont en moyenne 40 ans. Rien à voir avec notre intime de Lara Croft qui dominait le marché il n’y a pas si longtemps.

Armes de séduction massive

Pour intéresser les joueurs occasionnels, les entreprises prennent le parti de la simplicité et élaborent des jeux à la portée de tous. «Des indices pour trouver un trésor peuvent se cacher dans un livre virtuel plutôt que dans un écran compliqué, illustre Anouk Ethier, conceptrice de jeux chez Ubisoft, à Montréal. Le joueur n’a qu’à ouvrir le livre dans le jeu pour accéder aux informations. Inutile d’expliquer comment faire : tout le monde comprend le fonctionnement d’un livre.»

Des thèmes proches de monsieur et madame Tout-le-monde sont également privilégiés. «Une histoire de science-fiction, par exemple, désintéressera généralement les joueurs occasionnels, explique la conceptrice. Il faut plutôt trouver des thèmes de tous les jours, près d’eux, comme la cuisine, la politique ou encore les jeux d’hiver.»

Plusieurs titres comportent une dimension d’apprentissage et relèvent autant de l’outil de développement que du jeu à proprement parler. Nintendo les décrit d’ailleurs comme des «activités» plutôt que comme des jeux. L’expression «jeu bénéfique» est également utilisée.

Par exemple, Ubisoft lançait en 2007 la série Mon coach personnel, dont les titres promettent d’aider les utilisateurs à enrichir leur vocabulaire, à garder leur ligne ou encore à améliorer leur anglais. Wii Fit (mise en forme) ou Brain Age (aiguiser ses facultés intellectuelles) sont d’autres exemples de jeux qui se distinguent par leurs objectifs nobles.

Plus, en tout cas, que de voler des voitures à Grand Theft Auto, disons.


Encadré 1
Un jeu par jour…

Si la plupart des jeux bénéfiques comme Brain Age demeurent essentiellement ludiques, certains ont des visées plus sérieuses. C’est le cas de ceux conçus par l’équipe de scientifiques de la firme californienne Posit Science.

«Nous développons des logiciels pour améliorer certaines facultés du cerveau, en l’entraînant à faire des tâches très précises», résume le Dr Joseph Hardy, directeur de la recherche et du développement.

Ainsi, le jeu InSight cherche à améliorer les facultés visuelles, notamment le champ visuel utile et la vitesse à laquelle le cerveau traite ce qu’il voit. Pour y arriver, InSight propose cinq exercices différents, comme suivre plusieurs cibles mobiles en même temps – un peu comme le jeu où il faut deviner dans quel gobelet se trouve une balle (mais où il y aurait de nombreux gobelets et de nombreuses balles).

Pour l’instant, les jeux de Posit Science sont conçus pour les personnes âgées qui souhaitent aiguiser leurs facultés cognitives. Mais Joseph Hardy estime que d’autres applications sont envisageables pour de tels logiciels. «Par exemple, on pourrait créer des exercices qui permettraient de rétablir certaines facultés mentales affectées par un accident cérébral», explique le chercheur.

En attendant, les produits de la compagnie ont piqué la curiosité de l’assureur Allstate. La compagnie d’assurance américaine a commandé une étude pour vérifier les effets d’InSight sur la conduite automobile. Quelque 100 000 personnes âgées utiliseront le logiciel jusqu’à l’automne 2009. Si elles font moins d’accidents pendant l’année que la moyenne des personnes âgées, l’assureur pourrait diminuer leurs cotisations d’assurance.

Jouer pour économiser? Difficile de résister.

ENCADRÉ 2
Les grands succès

Quelques titres qui ont marqué, et continuent de marquer, le monde des jeux vidéo grand public.

Tetris
Ce jeu russe, qui consiste à imbriquer des pièces de casse-tête qui descendent dans l’écran, connaît la gloire depuis que Nintendo en a lancé une version pour sa console portable Game Boy, en 1989.

Bejeweled
Téléchargé sur Internet plus de 150 millions de fois depuis son lancement par PopCap Games, en 2001, ce jeu consiste à déplacer des joyaux sur un plateau dans le but de réunir les semblables. Attention : cause la dépendance!

Brain Age : Train Your Brain in Minutes a Day
Ce titre vise à maintenir le cerveau jeune et alerte à l’aide d’une multitude de petits jeux, questions mathématiques et autres casse-têtes. L’un des grands succès de la console Nintendo DS depuis son lancement en 2006.

Wii Sports
Terminé les manettes compliquées et les séries de commandes complexes à la ↑↑↓↓←→ B A Start. Avec Wii Sports, il suffit d’utiliser sa manette comme si elle était véritablement une raquette de tennis, une boule de quilles, un bâton de baseball, un bâton de golf ou un gant de boxe!

Wii Fit
Presque impossible à trouver depuis son lancement, Wii Fit est un jeu d’exercice physique. Installés sur le Wii Balance Board (une sorte de balance sans fil, munie de capteurs), les joueurs peuvent faire une quarantaine d’exercices (des mouvements de yoga ou des pompes, par exemple). La balance permet notamment d’évaluer la qualité d’exécution des mouvements et de mesurer l’index de masse corporelle des participants.

À lire dans le Magazine Jobboom du 15 janvier 2009