Accessibilité et Alerte COVID: qu’en est-il réellement?
Le Canada a lancé la semaine dernière Alerte COVID, une application de traçage des contacts qui vise à alerter les utilisateurs qui ont été en présence d’une personne atteinte de la COVID-19. L’application n’est toutefois pas accessible à tous, puisqu’elle n’est compatible qu’avec les appareils plus récents. Selon mes calculs, environ 15% des propriétaires de téléphones intelligents au Canada n’y auront pas accès.
Si vous n’avez pas suivi le dossier, je vous invite à relire mon billet sur les applications de traçage, publié sur L’actualité en avril dernier (j’utilisais alors le terme « application de suivi », puisque celui d’« application de traçage » n’avait pas encore été popularisé).
Ces logiciels mobiles se servent de la technologie Bluetooth pour mesurer s’ils sont près d’un autre téléphone, et ce, pendant combien de temps. Le tout est anonyme, n’utilise pas les coordonnées GPS et permet de reproduire d’une façon automatique le traçage des contacts qui se fait idéalement lorsqu’un individu est atteint d’une maladie contagieuse comme la COVID-19.
Si vous avez attrapé la COVID-19 et que vous l’indiquez dans l’application, celle-ci alertera anonymement vos collègues de travail avec qui vous avez été en contact dans les deux dernières semaines, ou les amis avec lesquels vous avez soupé, par exemple. Du moins, elle préviendra ceux qui ont aussi téléchargé l’application.
Notons que ces applications sont des compléments au traçage des contacts manuel, et qu’elles ne le remplacent pas. L’alerte ne veut pas non plus dire qu’on a contracté la maladie, mais c’est un signe qu’il serait sage d’aller se faire tester (il faut donc que les tests soient disponibles pour qu’elle soit efficace). Ces applications ne sont pas une solution miracle, mais plutôt un outil de plus dans la lutte au coronavirus.
L’application Alerte COVID est offerte en Ontario seulement pour l’instant, mais elle devrait être lancée – ou des applications équivalentes et compatibles – ailleurs au Canada par la suite.
Les exigences pour la faire fonctionner sont simples. Sur Android, il faut être doté d’un téléphone intelligent équipé d’au moins Android 6.0. Sur iOS, il faut être muni d’au moins iOS 13.5.
C’est ce dernier point qui est critiqué dans un article de la Presse Canadienne repris dans la plupart des médias aujourd’hui. Selon ceux qui y sont interrogés, en empêchant les Canadiens possédant un plus vieux téléphone de télécharger l’application, on limite son intérêt chez les populations les plus à risque.
C’est tout à fait vrai. Mais il peut quand même être pertinent de chiffrer ces limitations, ne serait-ce que pour pouvoir prendre des décisions plus éclairées, et c’est ce que je vais essayer de faire ici.
Du côté d’Android, en juillet 2020, au moins 95,53% des téléphones en circulation au Canada étaient compatibles avec l’application, selon le site Statcounter, qui analyse les parts de marché des différents systèmes d’exploitation. Ce n’est pas 100%, mais c’est beaucoup.
Du côté d’iOS, c’est un peu moins reluisant. Alerte COVID est limité aux téléphones pourvus d’iOS 13.5 et plus, ce qui empêche d’emblée de l’installer sur les iPhone plus vieux que l’iPhone 6S.
Seuls 63,31% des iPhone étaient dotés d’iOS 13.5 en juillet. Si on combine tous les iPhone à iOS 13 ou plus (on inclut alors ceux qui ne sont pas à jour, mais qui pourraient l’être), le taux monte à 75,34%.
Notons que les statistiques de Statcounter sont imparfaites, notamment parce qu’elles incluent les données provenant de tablettes et de téléphones. Les propriétaires d’iPad conservent généralement leur tablette beaucoup plus longtemps que leur iPhone (qui risque plus facilement de briser en raison de sa portabilité). En pratique, le taux d’adoption d’iOS 13 sur l’iPhone au Canada est donc probablement plus élevé que 75%.
Selon Apple, 81% de tous les iPhone seraient d’ailleurs doté d’iOS 13 ou plus. Cette statistique est toutefois mondiale, et non canadienne (les Canadiens ont tendance à conserver leurs appareils plus longtemps qu’aux États-Unis). Bref, l’adoption d’iOS 13 sur les iPhone au Canada est probablement entre 75% et 81%.
Au Canada, Android et iOS sont désormais à égalité dans la population. Un pourcentage référendaire sépare Android (49,62%) et iOS (50,02), selon Statcounter. Au moins 85,09% des détenteurs de téléphones intelligents ont donc accès à l’application Alerte COVID.
Rappelons qu’au Canada, environ 86% des adultes posséderaient un téléphone intelligent, selon une étude de la Consumer Technology Association publiée en 2018. Le taux est probablement plus élevé aujourd’hui, mais d’une façon conservatrice, on peut estimer qu’au moins 73,18% des adultes au pays seront donc en mesure de télécharger l’application Alerte COVID lorsque celle-ci sera offerte dans toutes les provinces.
Les opinions varient quant aux taux d’adoption nécessaire pour que de telles applications soient pleinement efficaces, mais le taux de 60% est souvent avancé. La solution mise en place au Canada pourrait ainsi permettre d’atteindre une telle adoption si presque tout le monde la téléchargeait (ce qui n’arrivera évidemment pas). Notons que les applications de traçage seraient cependant aussi utiles avec une adoption réduite.
Il est toutefois évident que les populations les plus à risque d’attraper la COVID-19 (outre les professionnels de la santé) sont celles qui sont ici laissées de côté. Ces populations n’ont aussi pas eu leur mot à dire dans le développement des applications, ce qui pourrait réduire leur adoption et réduire l’intérêt de la technologie.
Quelle était l’autre option?
Je ne suis pas expert en accessibilité, et je laisserai à d’autres le soin de décider si une application de santé compatible avec 85% des téléphones est moralement suffisante.
Une chose est certaine cependant, les choix technologiques étaient limités pour développer l’application.
Pour effectuer le traçage avec la technologie Bluetooth, les développeurs de l’application n’avaient à peu près pas d’autres choix que d’adopter la technologie développée par Apple et Google pour les applications de traçage. Sans cette dernière, une application de traçage ne fonctionnerait que lorsqu’elle est ouverte, et cesserait de fonctionner après un temps dès que l’on replacerait le téléphone dans notre poche.
Autrement dit, si le gouvernement avait voulu développer une application complètement inclusive, celle-ci aurait été inefficace. Les pays qui ont opté pour cette approche au printemps ont d’ailleurs presque tous changé leur fusil d’épaule, et ont fini par miser sur la solution d’Apple et de Google.
Est-ce que la solution adoptée est parfaite? Non. Mais c’était la meilleure disponible. Il faut maintenant espérer que Google et (surtout) Apple révisent leur technologie afin de la rendre compatible avec des appareils plus anciens, ce qui serait techniquement possible, du moins dans le cas d’Apple, qui contrôle les mises à jour de ses appareils (contrairement à Google). Car tout ce débat aurait pu être facilement évité.