Essai du Huawei P40 Pro: le matériel suffit-il à faire oublier Google?

3 avril 2020 à 17:42

 

Dans un univers parallèle, où Donald Trump n’aurait jamais lancé de guerre commerciale avec la Chine, Huawei aurait dévoilé la semaine dernière ce qui aurait été le meilleur téléphone Android à ce jour. Dans la réalité, s’il est vrai que le fabricant chinois continue de se démarquer par son matériel exceptionnel, force est toutefois de constater que l’absence de Google cette année lui fait mal.

 

Pour ceux qui auraient raté la controverse, le Huawei P40 Pro est en effet doté du système d’exploitation Android, mais pas des services Google, puisque l’entreprise américaine n’a plus le droit de lui vendre ses services.

 

Concrètement, cela veut dire que vous n’aurez pas accès à aucune application Google (Maps, YouTube, Gmail, Stadia, etc.), ni même au Google Play Store. Au lieu de cela, vous aurez des logiciels similaires de Huawei, ainsi que l’AppGallery de Huawei, une autre boutique d’applications.

 

Je pourrais écrire cette mise à l’essai de deux façons : pour Monsieur et Madame Tout-le-monde, qui n’utilise que les applications par défaut et qui ne souhaite pas bidouiller son appareil, ou encore pour les plus geeks, qui n’hésiteront pas à chercher des voies de contournement pour profiter pleinement de leur téléphone.

 

Le Huawei P40 Pro n’est à mon avis pas un téléphone pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. Les services Google sont trop populaires, et les solutions de rechanges trop compliquées pour qu’un téléphone sans Google vaille la peine pour eux. Si la situation change et que Google obtient à nouveau le droit de collaborer avec Huawei (ce n’est pas impossible), on revisitera. Mais pour l’instant, l’absence de Google représente un point négatif trop important pour l’acheteur moyen.

 

La situation diffère toutefois pour les utilisateurs plus geeks, qui savent ce qu’ils font et qui n’ont pas peur de fouiller dans les recoins de l’Internet pour personnaliser leur téléphone à leur goût. Pour eux, l’absence de Google est encore problématique, mais les forces du P40 Pro pourraient en convaincre certains que l’appareil vaut tout de même la peine. C’est à eux que ce test s’adresse.

 

Design : comme le S20, mais plus raffiné

La nouvelle série P40 de Huawei est offerte en trois formats : le P40 régulier, le P40 Pro et le P40 Pro+, qui sera lancé d’ici quelques mois. Le modèle mis à l’essai ici est le P40 Pro.

 

Il s’agit de la même stratégie que celle employée cette année par Samsung avec ses S20, S20+ et S20 Ultra.

 

Ce n’est d’ailleurs pas le seul élément similaire entre les téléphones phares des deux entreprises. Leur design se ressemble aussi énormément, surtout à l’arrière. L’écran du P40 Pro (OLED, de 6,58 pouces) est toutefois recourbé des quatre côtés, et non seulement de deux, et la finition arrière est matte plutôt que lisse, un peu à la manière de l’iPhone 11 Pro.

 

Le design du Huawei P40 Pro est à mon avis franchement réussi. L’appareil est solide et d’une bonne qualité entre les mains (notamment où le verre et le métal se rejoignent), le poids est bien réparti et l’arrière est particulièrement joli. On va évidemment perdre plusieurs de ces avantages avec un étui, à l’exception toutefois du poids bien balancé et de l’écran « chute d’eau », qui pourra continuer de se démarquer.

 

Caractéristiques : un marathon plutôt qu’une course

Côté caractéristique, Huawei semble avoir transformé sa stratégie cette année. Au lieu d’offrir absolument la fiche technique la plus impressionnante possible, l’entreprise a plutôt choisi pour mettre ses efforts là où cela comptait vraiment.

 

Par exemple, l’écran OLED est doté d’un taux de rafraîchissement de 90 images par seconde, soit moins que le 120 Hz du S20 Ultra de Samsung, mais quand même assez pour offrir des défilements plus agréables à l’œil. Sa pile de 4200 mAh est plus petite que celle de 5000 mAh du S20 Ultra, mais son chargeur fourni de 40W est plus rapide, et l’appareil peut être rechargé avec un chargeur de 27W (et même de 40W dans le cas du P40 Pro+).

 

Il offre 8 Go de mémoire vive plutôt que 12 Go, mais sa capacité minimale est de 256 Go plutôt que de 128 Go.

 

L’appareil supporte deux cartes SIM physiques, une carte eSIM, la connectivité 5G et le Wi-Fi 6 Plus. Il résiste à l’eau et à la poussière (IP68), intègre un capteur d’empreintes digitales sous l’écran plus gros et plus rapide qu’avant, un haut-parleur qui émet le son en faisant vibrer l’écran, un pointeur infrarouge, un capteur de gestes et beaucoup plus.

 

Le résultat est à mon avis un téléphone haut de gamme, mais qui recherche une bonne balance plutôt que de simplement effectuer une course à la fiche technique. Huawei distingue d’ailleurs ainsi un peu plus efficacement que par le passé ses séries Mate et P, ce qui n’est pas une mauvaise idée.

 

Seul point qui pourra en décevoir certains : le processeur Kirin 990 5G, qui est plus puissant que tous les processeurs pour téléphones Android de l’année dernière, mais qui se fait facilement devancer par le Snapdragon 865.

 

L’avance de Qualcomm semble être difficile à surmonter cette année, puisque même Samsung a opté pour le Snapdragon 865 avec ses S20, et non pour sa propre gamme Exynos, et ce, même en Corée du Sud.

 

Le Kirin 990 5G est néanmoins amplement suffisant pour toutes les applications les plus lourdes, et se défend quand même très bien avec par exemple un pointage de 2923 au test multicoeur de Geekbench 5 et de 5373 au test 3DMark Sling Shot Extreme Vulkan.

 

Caméras : le principal argument de vente

Comme avec les précédents modèles de la série P, l’argument de vente principal du Huawei P40 Pro est son module d’appareils photo, réalisé en collaboration avec le fabricant allemand Leica.

 

On retrouve ici trois objectifs principaux, et un capteur de profondeur, utilisé notamment pour les portraits.

 

L’objectif principal est le plus important du lot, avec son immense capteur de 50 mégapixels, que Huawei a baptisé « Ultra Vision ». Celui-ci est le plus grand sur le marché, avec une taille de 1/1.28 pouces. Comme c’est généralement le cas avec les gros capteurs, on ne prend toutefois pas d’images à 50 mégapixels, mais plutôt à 12,5 mégapixels, où quatre pixels sont combinés en un « super » pixel de 2.44μm. Comme l’année dernière avec le P30 Pro, le capteur est équipé d’un filtre Rouge-Jaune-Jaune-Bleu, qui devrait permettre de capter plus de lumières que les filtres RGB habituels.

 

 

Ce n’est pas pour rien que Huawei a obtenu une note de 140 au test DXOMARK, la plus grande valeur à ce jour. Les photos prises avec l’appareil sont franchement jolies. Dans mes tests à la noirceur, le P40 Pro impressionne particulièrement, comme on le voit ici avec un comparatif des modes nocturnes des P40 Pro, S20 Ultra et l’iPhone 11 Pro. La différence sans activer le mode nuit est encore plus impressionnante.

 

Les couleurs sont aussi justes et l’appareil supporte les grandes plages dynamiques. On aime aussi les nombreux modes de l’appareil photo (time-lapse, aquatique, pro, etc.) et ses portraits d’une bonne qualité.

 

 

Le P40 Pro est aussi doté de deux autres objectifs : un bon objectif ultra grand angle avec une ouverture de F1.8, et un objectif téléphoto optique 5X. Jusqu’à 10X, j’ai trouvé l’appareil considérablement meilleur que le S20 Ultra, avec des photos plus facilement utilisables. À l’agrandissement hybride maximal (50X), j’ai trouvé que les deux étaient aussi mauvais l’un que l’autre. Il sera intéressant de voir comment s’en sortira le P40 Pro+, avec son objectif 10X.

 

Dans l’ensemble, j’ai vraiment adoré les caméras du P40 Pro, qui permettent d’être créatifs et de se démarquer dans pas mal toutes les conditions possibles.

 

Logiciel : sans Google (mais on peut s’en sortir)

Tel qu’expliqué plus haut, la principale faiblesse du Huawei P40 Pro est son incompatibilité avec les services Google, qui ont dû être remplacés par les Huawei Mobile Services.

 

Presque toutes les applications Google ont un équivalent dans l’univers Huawei. On y retrouve par exemple une application pour la musique, les vidéos, un navigateur web, une galerie photos, et plus. Je vais toutefois passer rapidement sur ces dernières. Non seulement un problème logiciel au Canada empêche de bien les utiliser (un problème qui pourrait être réglé d’ici le lancement de l’appareil en juin, cela dit), mais celles-ci m’apparaissent de toute façon inférieures à ce que l’on peut obtenir autrement (le navigateur Firefox au lieu du navigateur Huawei, par exemple).

 

L’autre point à analyser est AppGallery, qui remplace le Google Play Store. En toute honnêteté, j’ai été impressionné par la boutique. On y retrouve beaucoup d’applications, et même plusieurs nouvelles. Le jeu de Behaviour Interactif Games of Thrones : Au-delà du Mur y est par exemple sorti en même temps que sur la boutique Google Play la semaine dernière.

 

On y retrouve aussi plusieurs applications importantes, notamment celles de Microsoft, comme Microsoft Office.

 

Même si la boutique est une belle surprise, vous finirez toutefois toujours par trouver des logiciels importants qui manquent à l’appel, que ce soit Twitter, Facebook ou Spotify. Vous pouvez évidemment passer par le web, mais l’expérience n’est alors pas idéale.

 

Heureusement, il existe des boutiques d’applications tierces, qui recopient systématiquement les APK de la boutique Google Play Store, comme APKPure, par exemple. Il ne s’agit pas ici de pirater les applications, mais seulement de vous permettre de les installer sur votre téléphone Android. Vous devrez quand même payer Netflix pour voir des séries, payer votre passe Fortnite pour avoir tous les costumes et regarder les publicités sur MétéoMedia pour connaître la météo.

 

 

De ce que j’ai pu voir, ces boutiques reprennent intégralement les fichiers de téléchargement, sans les modifier. On ne peut jamais être certains, mais il ne devrait donc pas y avoir de risque côté sécurité.

 

Qu’est-ce vous pourrez trouver dans ces boutiques tierces? Tout, sauf les logiciels de Google, qui ne fonctionneront pas même si on les installe.

 

J’ai tout de même été capable de remplacer tous les logiciels de Google sans trop de problème. Je dois prendre Waze et Transit plutôt que Google Maps, et je dois consulter YouTube sur le Web, mais pour le reste, le Huawei P40 Pro est tout à fait utilisable lorsqu’on installe une boutique tierce.

 

Il y a toutefois trois exceptions. Je ne pense tout d’abord pas qu’aucune application soit aussi bonne que Google Photos (je synchronise pour l’instant mes fichiers avec OneDrive et regarde les photos avec l’application intégrée, mais ce n’est pas la même chose). Quelqu’un qui utiliserait Google Play Music serait aussi forcé de changer de service. Un abonné de Stadia ne pourrait pas non plus utiliser son abonnement avec le téléphone (il pourrait changer pour Project xCloud, qui fonctionne, mais on s’entend que quelqu’un qui possède un abonnement à Stadia Pro à l’heure actuelle a probablement déjà un téléphone Pixel).

 

Est-ce la fin du monde? Non. Certains pourront apprendre à vivre sans Google. Mais considérant l’importance de Google dans l’univers Android, c’est tout de même un compromis important.

 

En conclusion : il faut savoir dans quoi on s’embarque

Le Huawei P40 Pro est un superbe téléphone Android, doté d’un design franchement réussi et des meilleurs appareils photo mobiles sur le marché. À moins qu’un changement géopolitique ne permette à Huawei de réintégrer les services Google, l’absence de ces derniers nuisent toutefois considérablement, tant pour le grand public que pour les technophiles habitués aux services du géant américain. C’est dommage. Car sinon, le P40 Pro aurait certainement été le téléphone de l’année.

 

La série Huawei P40 sera lancée au Canada en juin, pour un prix qui n’a pas encore été annoncé.