Sonos débranche ses vieux haut-parleurs : quelques réflexions
De nombreux utilisateurs Sonos ont eu une mauvaise nouvelle cette semaine. Les plus vieux appareils de l’entreprise (tous lancés il y a plus de 10 ans, mais dont certains ont été vendu il y a jusqu’à cinq ans) cesseront de recevoir des mises à jour logicielles à compter du mois de mai. Mise en contexte et réflexions sur une situation qui est appelée à se reproduire de plus en plus souvent au cours des prochaines années.
Qu’est-ce qui se passe exactement avec Sonos?
Le fabricant de haut-parleurs connectés Sonos a annoncé mardi que certains de ses plus vieux appareils ne recevront plus de mises à jour logicielles dès le mois de mai.
Tous les produits visés ont été lancés avant 2010, mais certains ont été vendus jusqu’en 2015. Il s’agit des Zone Players, Connect, Connect:Amp, Play:5 de première génération, CR200 et le Bridge. Ce sont donc principalement les amateurs de Sonos de la première heure qui sont visés par l’annonce.
La raison selon Sonos? Ces modèles ne sont tout simplement plus assez puissants pour recevoir les mises à jour futures et bien s’intégrer dans l’écosystème Sonos (qui demandent à plusieurs composantes d’interagir entre-elles et avec différents services web, comme Spotify ou Apple Music).
Les utilisateurs visés ont deux choix.
Ceux-ci peuvent ne rient faire. Leur appareil va continuer de fonctionner un certain temps. Sans mise à jour, celui-ci ne pourra rapidement plus interagir avec les autres modèles de l’entreprise sur votre réseau, qui continueront quant à eux d’évoluer.
Sonos a affirmé vouloir offrir une mise à jour finale pour ces appareils, qui leur permettront de fonctionner sur un réseau indépendant. On ignore encore de quoi aura l’air cette solution, mais elle devrait permettre d’écouter de la musique pendant un certain temps, mais probablement sans les fonctionnalités multipièces. Avec le temps, certains services de musique en ligne pourront toutefois arrêter de fonctionner.
Spotify pourrait par exemple apporter des changements à son API qui rendront les appareils connectés incompatibles s’ils ne sont pas mis à jour. Si les micrologiciels des vieux Sonos ne sont plus à jour, ceux-ci ne pourront donc pas être adaptés à ce nouveau Spotify.
L’exemple est hypothétique, évidemment. Les vieux Sonos pourraient donc continuer de fonctionner encore 10 ans. Mais ils pourraient aussi perdre tous leurs principaux services après un an ou deux.
Sonos offre aussi une autre option à ses utilisateurs : échanger leur vieux Sonos contre un rabais de 30% sur un nouvel appareil. Quelqu’un qui souhaiterait échanger son Play:5 de première génération obtiendrait donc un rabais de 180$ au Canada pour le Play:5 de seconde génération.
Ceux qui optent pour cette voie ne pourront toutefois plus utiliser leur appareil. Au lieu d’exiger que celui-ci soit physiquement échangé (comme c’est le cas avec tous les programmes du genre), Sonos a opté pour rendre les produits périmés inopérables par une mise à jour logicielle.
Ce choix passe mal, puisqu’un appareil fonctionnel est artificiellement désactivé.
À la défense de Sonos, les autres entreprises font exactement la même chose lorsqu’un vieux modèle est échangé. Vous ne pouvez pas aller échanger un iPhone 7 chez Apple, recevoir votre 130$ de rabais pour un nouvel appareil et continuer d’utiliser l’ancien. La différence est qu’Apple exige de ravoir l’appareil qui sera ensuite démonté. Sonos désactive le haut-parleur, et c’est à l’utilisateur d’aller le faire recycler (pour qu’il soit également démonté).
La perspective est différente du point de vue de l’image, mais en pratique, le résultat est le même.
Sonos pourrait faire mieux (j’y reviendrai plus loin dans l’article). Mais même si la solution utilisée lui donne mauvaise image, je crois qu’elle est quand même mieux que si l’entreprise avait fait comme les autres et simplement demandé à reprendre ses appareils (ce qui aurait entraîné des coûts supplémentaires et forcé une livraison inutile).
Les gadgets connectés ne sont pas éternels
Les utilisateurs de Sonos touchés par la nouvelle sont à mon avis les premières victimes « majeures » d’un problème qui est appelé à se reproduire constamment.
Dans le magazine L’actualité en kiosque en ce moment, j’ai d’ailleurs rédigé une chronique sur le sujet (qui tombe particulièrement à point). L’ouverture de mon texte Quand l’Internet des objets jette l’éponge (un titre qui aurait pu être plus clair, désolé!) prédisait justement la situation actuelle : « les objets connectés qui nous entourent peuvent cesser de fonctionner du jour au lendemain si leur fabricant en décide ainsi. »
Sonos affirme que ses vieux objets ne sont plus assez puissants pour recevoir des mises à jour et fonctionner tout aussi bien qu’ils le devraient. C’est probablement vrai pour certains modèles retirés. Pour les autres, ça aurait été le cas un jour, mais peut-être pas maintenant.
Mais il y a aussi une autre réalité moins politiquement correcte à considérer : programmer des micrologiciels pour tous ces modèles coûtent de l’argent. Et un Connect:Amp vendu en 2006 ne rapporte plus d’argent à Sonos depuis longtemps. Pire, Sonos doit même débourser des frais (minimes) lorsque vous l’utilisez.
Comme je l’explique dans la chronique, tout objet connecté qui nécessite une application mobile ou des services web pour fonctionner se verra un jour déconnecté (j’ajouterai plus loin un petit bémol à cette affirmation).
Pour que les images d’une caméra connectée puissent être vues en ligne avec une application, ou pour que l’on puisse demander la météo à un haut-parleur intelligent de type Google Home, le fabricant paie pour une connexion Internet et de la puissance de calcul dans un centre de données. Ces frais sont minimes, généralement des fractions de sou. Un abonnement mensuel imposé aux acheteurs, l’acquisition de données personnelles ou la vente de nouveaux modèles compensent cependant ces dépenses. Or, à mesure que l’appareil connecté vieillit, le fabricant doit mettre à jour les technologies qui l’alimentent. Cela peut prendre 5, 10 ou 30 ans, mais le gadget connecté finira forcément par coûter plus cher à son fabricant que ce qu’il lui rapporte.
Tenir un gadget connecté à jour coûte de l’argent. Si Sonos n’avait pas débranché ses appareils aujourd’hui, l’entreprise aurait été forcée de le faire plus tard (j’ajouterai un bémol plus loin ici aussi). C’est vrai aujourd’hui pour Sonos, ce sera vrai demain pour les premiers Echos d’Amazon et ce sera vrai un jour pour le premier Google Home.
On peut jeter des pierres, mais ce n’est pas mieux ailleurs
Les utilisateurs touchés par la nouvelle de Sonos sont fâchés. Et avec raison. Il est frustrant de payer 500$ pour un appareil qui cesse de fonctionner sans raison d’un seul coup.
J’ai discuté hier avec un Internaute qui disait qu’il n’achèterait plus jamais de Sonos. C’est tout à fait son droit. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’il trouvera mieux ailleurs. Certains des produits de l’entreprise qui arrivent aujourd’hui en fin de vie ont été lancés en 2006, soit avant l’arrivée de la musique en ligne et des téléphones intelligents. Ceux-ci ne pouvaient à l’époque même pas être reliés à un réseau Wi-Fi. Leur longévité est admirable par rapport au reste de l’industrie. À mon avis, seul le fabricant danois Bang & Olufsen peut en dire autant (avec certains de ses modèles cela dit, pas tous). Ce dernier n’est toutefois pas dans la même fourchette de prix.
Sonos est ici en partie victime du fait qu’elle était l’une des premières à produire des appareils du genre. Ses concurrents subiront tous le même sort lorsque leurs produits auront été sur le marché pour aussi longtemps.
Elle n’est d’ailleurs pas la première à débrancher des objets connectés. Électroménagers intelligents, caméras web, moniteurs pour bébé, solutions de sauvegarde infonuagique : la liste des produits artificiellement déconnectés est longue. Ceux-ci sont d’ailleurs généralement beaucoup plus jeunes que les produits retirés par Sonos.
Under Armour a par exemple débranché hier ses balances et bracelets d’entrainement, qui avaient pourtant été lancés en 2017 seulement. Et dans ce cas-ci, les utilisateurs ne recevront pas de rabais pour un nouveau produit.
Il y a aussi bien des appareils du genre qui cessent de fonctionner sans que cela soit annoncé. Cet été, j’ai essayé d’utiliser le premier téléphone Android au Canada, le HTC Dream, pendant une semaine. La moitié des fonctionnalités de ce téléphone de 10 ans avaient été désactivées. Je ne pouvais par exemple pas prendre mes courriels avec l’appareil. Celui-ci est pourtant moins vieux que les haut-parleurs Sonos.
On justifiait auparavant l’achat d’appareils électroniques d’une bonne qualité en se disant qu’ils fonctionneraient longtemps. Un amplificateur acheté dans les années 70 peut encore être écouté aujourd’hui. Cette logique ne tient toutefois plus la route avec les objets connectés. Peu importe le prix qu’on paye, ceux-ci atteindront tous un jour leur date de péremption.
Je ne dis pas que c’est bien. Je ne fais qu’un (très plate) constat.
Sonos et les autres pourraient mieux faire les choses (et il n’est pas trop tard)
Il y aurait, cela dit, une façon pour que l’industrie s’améliore sur ce point : en adoptant des technologies ouvertes.
Changer le micrologiciel d’un vieux Sonos Play:5 pour l’adapter à un nouvel API Spotify n’est pas sorcier pour ceux qui s’y connaissent en programmation. Des utilisateurs dédiés pourraient aussi maintenir une application PC pour assurer le fonctionnement de ces vieux appareils, par exemple.
En adoptant des technologies ouvertes, les fabricants pourraient arrêter le support de leurs produits avec le temps – ce qui est inévitable à long terme de toute façon – mais les utilisateurs, eux, pourraient prendre le relais.
La solution n’est évidemment pas réaliste dans le cas de Sonos. Comme on l’a vu dans sa poursuite contre Google, la valeur de l’entreprise réside en grande partie dans sa propriété intellectuelle.
D’autres fabricants pourraient toutefois adopter une approche du genre. Ce serait valide pour des haut-parleurs connectés, mais aussi des bracelets d’entraînement ou n’importe quel autre appareil.
Dans le cas de Sonos, une approche plus réaliste pourrait consister à créer un dernier micrologiciel plus souple que son micrologiciel actuel. La solution nécessiterait un certain investissement en ressources, mais avec le recul, je suis certain que cet investissement aurait été inférieur à ce que l’annonce d’hier aura coûté à leur notoriété.
Sonos pourrait par exemple créer une application PC ouverte conçue spécifiquement pour interagir avec le Play:5 de première génération. Peut-être que la compatibilité à long terme avec Spotify pourrait être assurée par ce logiciel, par exemple. Les utilisateurs perdraient une partie de leurs fonctionnalités, certes, mais ils pourraient tout de même continuer d’utiliser leurs appareils.
Quelles leçons peut-on en tirer comme consommateur?
Quelles leçons peut-on tirer de tout ce fiasco?
Malheureusement, pas grand-chose. On peut évidemment ne plus acheter d’appareils connectés. Il y a tout de même des avantages intéressants à ces produits, dont plusieurs ne voudront pas se passer. Dans ma chronique de L’actualité, rédigée plusieurs mois avant l’annonce de Sonos, voici ce que j’écrivais :
Il existe au moins des moyens d’atténuer le problème sans pour autant renier ces appareils. Il faut choisir un produit qui pourra avoir une seconde vie même sans connexion Internet et sans application mobile, comme un haut-parleur doté d’un port audio externe. Chose certaine, les consommateurs avertis doivent désormais prendre conscience de cette fin annoncée. On justifiait auparavant ses achats en se disant qu’il s’agissait d’un investissement à long terme. Cette logique ne tient plus la route avec les appareils électroniques d’aujourd’hui.
Je l’admets, plusieurs de ces conseils ne sont pas particulièrement inspirés : prendre conscience de cette fin à l’achat. Diminuer ses attentes.
L’achat d’un produit avec une seconde vie tient un peu plus la route, mais si on est réaliste, on risque tout de même de se retrouver avec un appareil qui n’est pas l’ombre de celui qu’on avait acheté à la base. C’est fâchant, et le consommateur y perd dans tous les cas.
Je persiste toutefois à croire que le développement d’appareils ouverts, ou l’ouverture partielle d’objets en fin de vie, pourrait corriger en grande partie ce problème.
Mais alors que le logiciel est un élément différenciateur important entre les produits sur le marché et que les entreprises espèrent vendre de nouveaux appareils avec le temps, je ne parierai certainement pas d’argent sur les chances que l’industrie dans son ensemble adopte un jour cette pratique.