Analyse de Facebook Instant Articles : un mal nécessaire pour les médias?
Facebook a lancé hier en grandes pompes Instant Articles, un nouveau moyen pour les médias de publier leurs articles directement sur Facebook. Si le produit final est efficace et joli, et ne peut que se demander si le projet n’est pas un mal nécessaire pour les médias, qui ne pourront peut-être pas se permettre de l’ignorer, malgré les risques encourus.
Qu’est-ce que c’est?
Les Instant Articles sont un moyen mis en place par Facebook pour permettre aux médias de publier directement sur le réseau social, plutôt que d’inviter les internautes à suivre un lien vers leur site web.
La plateforme de Facebook est jolie, avec une interface riche permettant d’inclure des vidéos et des commentaires audio. La mise en page est parfaite pour les téléphones intelligents, et le contenu peut être optimisé de fond en comble pour Facebook, puisqu’il est par exemple possible d’aimer et de commenter des éléments individuels dans les articles, comme les photos et les vidéos.
Pour l’instant, les Instants Articles sont accessibles seulement avec un iPhone, mais une version Android sera aussi lancée prochainement. Une dizaine de médias ont accès à la plateforme à son lancement, incluant The New York Times, The Guardian, National Geographic, BuzzFeed et BBC News.
Facebook compte toutefois ouvrir son service à tous les éditeurs éventuellement.
Quels sont les avantages?
Les avantages des Instant Articles varient selon à qui on pose la question.
Facebook : les articles instantanés sont conçus pour être rapides à ouvrir, puisqu’il n’est pas nécessaire de lancer un navigateur web pour suivre un lien, et que leur contenu est préchargé d’avance lorsqu’un article du genre apparaît sur son fil de nouvelles.
Ouvrir un lien sur Facebook prend en moyenne 8 secondes, mais avec les Instant Articles, le tout est pratiquement instantané (d’où le nom). Un usager risque donc moins de fermer son application, et devrait en théorie consulter en moyenne plus de contenu sur une période donnée.
Pour un seul utilisateur, ce 8 secondes ne veut pas dire grand-chose, mais à l’échelle de Facebook, ce sont des millions $ qu’il est possible d’aller chercher.
L’autre avantage est par rapport aux publicités. Les éditeurs peuvent afficher des publicités dans les articles instantanés, tout en conservant 100% des profits s’ils vendent eux-mêmes la pub. Mais s’ils laissent Facebook la vendre, le réseau social conserve 30% des profits.
On se doute que le New York Times vendra toujours lui-même sa publicité, mais pour un plus petit média, il s’agit d’une option avantageuse, avec même un taux plus intéressant que ce qu’offrent bien des agences de publicité, par exemple.
Les utilisateurs : pour les utilisateurs, les Instant Articles sont mieux optimisés pour un écran de téléphone que la plupart des sites web, et le tout est vraiment rapide. Dans un monde idéal, les médias pourraient eux-mêmes créer des sites web aussi jolis qu’Instant Articles, mais ce n’est pas le cas. Le nouveau projet de Facebook est vraiment une grosse coche au-dessus du web moyen.
Il est toutefois clair que le projet touche plus Facebook et les médias que les utilisateurs eux-mêmes.
Les médias : nous reviendrons plus loin sur les avantages pour les médias. Mais notons en gros qu’Instant Articles pourrait apporter plus de trafic vers leur contenu.
Quels sont les risques?
Ici aussi, les risques dépendent d’à qui on s’adresse.
Facebook : aucun risque réel, sinon le risque financier d’avoir développé une plateforme inutilement.
Utilisateurs : le seul risque pour les utilisateurs est que les articles instantanés, puisqu’ils se préchargent automatiquement lorsqu’ils apparaissent dans votre fil, pourraient faire exploser la consommation de données de l’application Facebook. Ce sera quelque chose à surveiller de près.
Médias : ce sont les médias qui courent ici le plus grand risque. Nous y reviendrons plus loin également, mais notons seulement pour l’instant que les Instant Articles font en sorte que leurs lecteurs ne vont plus sur leur site (et peuvent donc moins suivre d’autres articles proposés par la suite), que les médias perdent un certain contrôle sur leur publication et qu’ils sont un peu à la merci de Facebook, qui pourrait décider unilatéralement de conserver une partie des profits des publicités vendues sur les articles.
Je crois que les Instant Articles seront populaires. Voici pourquoi.
Évidemment, si les Instant Articles sont un échec, les médias ne courent aucun risque.
Et Facebook n’est pas à un échec près, puisque la plupart des nouveaux produits de la compagnie tombent rapidement dans l’oubli. Je crois toutefois que les Instant Articles pourraient connaître plus de succès que Facebook Home, par exemple.
Les nouveaux articles ne nécessitent pas en effet l’installation d’une nouvelle application, ce qui est certainement un avantage. Le contenu est aussi vraiment bien optimisé pour Facebook. Suffisamment pour avoir un impact sur le taux de partage des articles instantanés par rapport aux articles normaux? Je crois que oui. Et cette différence de taux n’a pas besoin d’être incroyable pour avoir un impact. Il suffit qu’elle existe pour causer un effet d’entraînement dans les médias.
Facebook dit qu’il ne privilégiera pas les articles instantanés dans son algorithme, qui décide de ce qui se retrouve sur votre fil de nouvelles. Même si c’est vrai, les Articles Instantanés pourraient, par leur nature même, être privilégiés par l’algorithme, ce qui augmentera de facto leur popularité.
Les conséquences pour les médias si ce n’est pas populaire
Si je me trompe et que les Instant Articles n’ont aucun impact dans leur partage sur Facebook et qu’ils ne sont pas privilégiés par l’algorithme, Instant Articles pourrait suivre tranquillement son cours ou s’éteindre de sa belle mort, sans aucune conséquence pour les médias.
Les médias qui auront participé au programme n’auront aucun bénéfice, mais aucune grande perte non plus (puisqu’ils conservent les profits de leurs articles). La seule perte est que certains lecteurs qui auraient pu tomber sur leur site web grâce aux liens partagés ne l’auront pas fait.
Et pour les médias qui n’auront pas participé au programme, Instant Articles n’aura rien changé.
Les conséquences pour les médias si c’est populaire
Si les Instant Articles deviennent populaires, qu’ils sont plus partagés par les utilisateurs et que l’algorithme de Facebook vient amplifier ensuite leur popularité encore plus, la situation est toutefois bien différente.
Tant et aussi longtemps que l’entente financière demeure la même entre Facebook et les médias, les articles instantanés pourraient être avantageux pour les participants. À long terme, il suffit toutefois que Facebook décide de prendre sa part des profits pour que cet avantage soit beaucoup plus difficile à déterminer. Car après tout, il est vrai que malgré leur popularité potentielle, les Instant Articles auront un impact négatif sur leur marque et sur les visiteurs qui consultent leur site web.
Les risques de participer au programme seront dans tous les cas probablement beaucoup plus petits que les risques de ne pas participer.
Facebook est désormais une source de trafic incroyable pour les médias, bien plus que n’importe quel réseau social. Facebook est aussi un moyen pour rejoindre de nouveaux lecteurs.
Si les Instant Articles deviennent populaires, cela veut dire que les articles normaux seront moins mis de l’avant par l’algorithme de Facebook, mais aussi, par la bande, que les utilisateurs partageront moins d’articles normaux (et le cercle vicieux continue ensuite).
Bref, il y a un risque à publier des Instant Articles, mais ne pas le faire pourrait être beaucoup plus dommageable à long terme.
En analysant toutes les répercussions possibles des articles instantanés, on se rend compte que malgré les risques, le nouveau projet de Facebook est probablement un mal nécessaire pour les médias.
Et pour Facebook, tout indique qu’il s’agit d’une véritable mine d’or.