Mobilité: il y a de la place pour un troisième fabricant majeur

6 mars 2015 à 16:54

Gionee

Deux fabricants de téléphones intelligents se partagent présentement une part importante du marché des téléphones intelligents dans le monde, Apple et Samsung, avec une poignée d’autres qui se séparent le reste, comme LG, Sony, HTC, Huawei, Xiaomi et Lenovo. Alors que se termine le Mobile World Congress 2015, un constat s’impose: les pièces sont en place pour qu’un troisième joueur majeur parvienne finalement à faire sa place. Voici pourquoi.

Mobilité: un drôle de marché
Il faut tout d’abord comprendre que la mobilité est un bien drôle de marché, et ce, pour plusieurs raisons.

Dans une bonne partie des pays, comme au Canada et aux États-Unis, les opérateurs subventionnent le prix des téléphones, afin qu’un iPhone à 750$ soit par exemple vendu à 250$. Les consommateurs remboursent ensuite cette subvention à tous les mois, et le processus fait en sorte qu’ils peuvent se permettre un achat qui ne serait normalement pas dans leurs moyens.

Un peu pour cette raison, mais aussi pour quelques autres – notamment des raisons technologiques, mais aussi marketing et médiatiques – le marché occidental est dominé depuis plusieurs années par les téléphones haut de gamme.

Les gens achètent beaucoup plus d’iPhone et de Galaxy S que ce à quoi on devrait s’attendre, et moins d’Alcaltel Onetouch et de HTC Desire que ne devraient pourtant dicter les lois de la microéconomie.

il y a bien un marché pour le moyen de gamme et l’entrée de gamme, même au Québec, où ces appareils vendent parfois biens, mais en général, le marché des téléphones intelligents est un marché d’appareils phares.

Le concept du « juste assez bon »
Oui, les téléphones haut de gamme sont ceux mis de l’avant par les opérateurs et les fabricants qui peuvent faire plus d’argent avec ceux-ci, mais une autre raison explique les bonnes ventes de ces appareils.

Bien souvent, les téléphones de milieu de gamme ne sont tout simplement pas assez bons pour renverser cette tendance.

Un téléphone de milieu de gamme « juste assez bon » pourrait par contre faire changer les choses.

Par là, on entend un téléphone d’environ 350$ assez joli, avec une bonne autonomie, assez rapide pour ne pas être saccadé, avec un bon logiciel, un excellent appareil photo et, ne l’oublions pas, un bon réseau de distribution.

Plusieurs appareils se sont approchés de cette limite récemment, mais il leur manquait souvent un élément, comme le prix, l’appareil photo ou la distribution. C’était notamment le cas des Nexus 5, du OnePlus One et de certains téléphones de la compagnie chinoise Xiaomi.

Le milieu de gamme sera bientôt « juste assez bon »
Au Mobile World Congress cette semaine, plusieurs téléphones s’approchaient encore une fois de cette limite.

J’ai par exemple été franchement impressionné par le Gionee Elife S7 (photo ci-haut), un téléphone chinois d’une superbe minceur, à 5,5 mm.

Chez les grands fabricants, le Sony M4 Aqua était sommes toutes pas mal non plus, malgré quelques faiblesses évidentes.

Avec le prix des composantes qui diminue (ou plutôt leur qualité qui augmente pour un prix constant), mais aussi avec l’expérience qu’acquièrent les fabricants depuis quelques années, il n’est plus très loin le moment où l’un d’eux pourra créer un téléphone de 350$ qui sera amplement suffisant pour la plupart des gens.

Le haut de gamme évolue à pas de tortue
Parallèlement à tout ceci, on observe depuis quelques temps que le haut de gamme évolue désormais à pas de tortue. Un changement mineur à l’objectif d’un appareil photo par-ci, un capteur de quelque chose par là, un nouveau design ici: l’époque où les téléphones étaient dépassés après quelques mois seulement est terminée.

Il faut aussi dire que, contrairement à il y a quelques années, tous les téléphones sont désormais suffisamment puissants, et un nouveau processeur qui pouvait auparavant justifier à lui-seul un changement de téléphone n’a plus autant d’impact qu’auparavant.

Et maintenant que la taille des écrans a cessé de croître, et que la résolution maximale intéressante des écrans a été atteinte, ont peut présager que l’évolution future sera de plus en plus tranquille.

Il y a place encore à beaucoup de nouveautés majeures (biométrie, nouvelle technologie pour les piles ou pour la caméra, haute fidélité, etc.), mais le rythme effarant des améliorations dans les fonctions de base semble bel et bien terminé.

Les gros joueurs ont peu d’intérêt pour le milieu de gamme « juste assez bon »
Je disais plus haut que le téléphone juste assez bon à 350$ pourrait bientôt être là.

En fait, ce serait peut-être déjà même possible. Qui sait. Tel qu’indiqué plus haut, les appareils de Xiaomi et de OnePlus sont par exemple abordables et bien foutus (même si un procès ou deux attend Xiaomi lorsque la compagnie décidera de sortir du marché chinois, et même si Oneplus n’a nullement l’infrastructure nécessaire pour s’attaquer à Apple ou Samsung).

Malheureusement pour ceux qui attendent le téléphone moyen de gamme « juste assez bon », force est toutefois de constater que les grands fabricants ne semblent pas pressés de lancer un tel appareil.

Il faut dire que ceux-ci ont tout avantage à mettre de l’avant leurs téléphones plus profitables, et on peut présager qu’ils limitent volontairement leurs appareils de milieu de gamme, avec des objectifs de caméra exécrables, des capacités insuffisantes et autre.

Après tout, pensez-vous vraiment que d’équiper un appareil d’une capacité de 8 Go plutôt que d’une capacité de 16 a réellement un gros impact sur le prix? Évidemment que non. L’impact sur l’usabilité, lui, est toutefois gigantesque.

Et parfois, comme dans le cas d’Apple, la compagnie ne s’intéresse tout simplement même pas à ce segment du marché.

Dans tous les cas, considérant qu’un acheteur potentiel d’un téléphone à 750$ pourrait laisser tomber son achat lucratif pour un beaucoup moins profitable de 350$ si on en lui donnait l’occasion, on peut comprendre leur raisonnement.

Un joueur qui n’a rien à perdre pourrait miser gros sur le milieu de gamme
Bref, je doute qu’une révolution du milieu de gamme vienne d’un joueur d’impact existant, qui aurait trop à perdre. Car malgré tout ce qui a été dit, le haut de gamme n’est pas près de disparaître: il y aura toujours des consommateurs qui voudront le meilleur appareil, celui avec les matériaux plus nobles et les toutes dernières nouveautés.

Un nouveau joueur, ou un joueur mineur existant, pourrait toutefois décider de plus ou moins abandonner le haut de gamme et de tout miser sur le milieu de gamme en créant un téléphone avec des compromis intelligents, celui que les consommateurs pourront acheter sans le regretter par la suite et sans vouloir le changer au bout d’un an.

À quoi pourrait ressembler un tel téléphone? À vue de nez, disons une version nature d’Android (moins dispendieuse de surcroit), un boitier avec un bon design, mais en plastique d’une bonne qualité ou d’un autre matériel du genre (moins cher et potentiellement pratiquement aussi joli), un bon processeur avec une bonne quantité de mémoire (éviter les Snapdragon 4XX ou les MédiaTek d’entrée de gamme et opter pour 2 Go de RAM au minimum), un écran 1080p de 5 pouces (une bonne taille et une bonne résolution), un excellent appareil photo (une bonne optique, un bon logiciel et un capteur de 8 mégapixels de bonne qualité) et voilà, le tour est joué.

Quand on y pense, le Nexus 5, vendu par Google directement, et non vendu par les opérateurs, qui refilaient l’appareil à leurs consommateurs à un prix beaucoup plus cher, n’était certainement pas loin de cet appareil recherché.

Un peu plus difficile maintenant, il faudrait aussi un bon réseau de distribution et un bon service après-vente, un domaine où Apple domine présentement. Il faut après tout que les gens puissent l’acheter ce téléphone, et qu’ils se sentent en confiance en cas de bris ou de pépin.

Aucun téléphone de 350$ n’a encore rencontré tous ces critères.

Mais le jour où ce sera le cas, le jour où un téléphone à 350$ vous conviendra autant qu’un téléphone à 700$, même s’il vous fera un peu moins rêver, un troisième joueur pourrait s’imposer dans l’industrie, et vendre beaucoup plus d’appareils que n’en vendent les autres fabricants secondaires actuellement, et ce, autant en occident que dans les pays en développement.

Qui fabriquera cet appareil?
Est-ce qu’une compagnie actuelle pourrait faire un tel téléphone?

Les plus près sont présentement les compagnies chinoises comme Xiaomi et OnePlus. Ces dernières ne sont toutefois pas prêtes à s’attaquer au monde entier, et dans le cas de Xiaomi, les observateurs semblent s’entendre pour dire qu’une éventuelle guerre de brevets pourrait bien ralentir leur expansion.

En allant chercher les bons éléments (un peu d’originalité dans le design ne leur nuirait certainement pas), qui sait par contre ce qui pourrait se passer.

Un fabricant plus connu pourrait aussi décider d’opter pour cette stratégie, mais ce serait étonnant.

Celui qui aurait probablement le plus à gagner serait HTC, une compagnie qui produit des appareils de qualité et qui a une bonne présence partout dans le monde, mais qui semble avoir de la difficulté à trouver sa place dans le marché actuel, et qui ne possède aucune autre source de revenu majeure pour compenser ses pertes occasionnelles.

HTC pourrait conserver sa gamme HTC One, ne serait-ce que pour les apparences et pour conserver une plateforme pour développer les nouvelles technologies qui se retrouveront avec le temps dans ses appareils de milieu de gamme.

Mais la compagnie devrait mettre tous ses efforts vers le milieu de gamme et, surtout, ignorer les risques de cannibalisation de son appareil phare comme les grandes compagnies le font présentement.

De nombreuses embûches à prévoir
Lorsqu’une entreprise prendra cette décision, que ce soit HTC ou une autre, celle-ci aura toutefois de nombreux obstacles à affronter.

On peut par exemple imaginer que les opérateurs ne seront pas friands à cette idée, qui ferait diminuer significativement leurs revenus mensuels moyens par usagers. Peu de compagnies ont aussi les reins assez solides pour affronter Apple et Samsung de plein front, ne serait-ce qu’à cause de la force marketing de ces deux compagnies.

Mais ce dernier point est aussi vrai avec un téléphone à 700$ qu’avec un téléphone à 350$.

Il s’agit certainement d’un défi d’envergure. Mais tant qu’à perdre de l’argent comme plusieurs fabricants le font actuellement, voilà certainement une stratégie qui vaudrait la peine d’être envisagée rapidement. En jouant bien ses cartes, la première compagnie qui le fera pourrait peut-être bien parvenir à s’imposer comme troisième joueur mondial, et à profiter de son momentum pour le demeurer.

Après tout, BlackBerry et Nokia trônaient jusqu’il n’y a pas si longtemps au sommet des palmarès. L’allure actuelle du marché n’est pas coulée dans le béton.