Quel avenir pour RIM? Attention aux conclusions faciles.
Research in Motion jouera vraisemblablement son avenir demain avec le dévoilement de ses nouveaux téléphones intelligents BlackBerry 10. Peu importe le contenu de la présentation, la bataille semble toutefois presque perdue d’avance, si l’on croit de nombreux commentateurs et analystes, qui demeurent sceptiques face à un éventuel «retour» de RIM. Mais avant de prédire l’avenir de RIM, et de juger ses performances, peut-être faudrait-il s’entendre sur les paramètres qui définiront son succès.
Car malheureusement, les critères avec lesquels est jugée la compagnie canadienne sont parfois inappropriés ou carrément irréalistes. Et les conclusions faciles qui en sont tirées ne sont donc pas toujours des plus pertinentes.
Parts de marché
Il n’est par exemple pas réaliste que RIM retrouve un jour ses parts de marché d’autrefois.
Les BlackBerry étaient alors très loin devant la concurrence, et la domination de RIM était, il faut le reconnaitre, en partie due aux lacunes des autres plateformes disponibles, comme Windows Mobile ou Palm OS, par exemple.
La situation est complètement différente en 2013. iOS et Android sont des systèmes d’exploitation solides, même pour les utilisateurs d’affaires, et Windows Phone s’améliore rapidement.
Avec le Bring Your Own Device (BYOD) et le support de plusieurs systèmes par les gestionnaires d’appareils mobiles (Mobile Device Management, ou MDM), les utilisateurs d’affaires sont aussi de plus en plus libres de choisir la plateforme qu’ils désirent.
Il est absurde de croire que RIM puisse atteindre ses sommets d’autrefois dans ces conditions. Est-ce que cela veut dire que le PDG de la compagnie Thorsten Heins peut déjà mettre les clés dans la porte comme certains le prétendent? Absolument pas.
Il n’est pas nécessaire de détenir 50% des parts d’un marché pour connaître du succès.
Évidemment, il est difficile d’estimer quelles sont les parts de marché que RIM doit atteindre pour assurer son avenir.
Il est toutefois bon de noter que les parts minimales pour assurer la rentabilité de l’entreprise ne sont probablement pas si élevées que ça (considérant les revenus que tire RIM de son réseau).
Le défi sera plutôt de retrouver mondialement des parts assez grandes pour demeurer pertinent à long terme auprès des développeurs et des opérateurs, des parts assez grandes et stables pour que la compagnie conserve un certain momentum auprès du public.
Notons toutefois que de gagner des parts de marché pour RIM, même plus petites que celles des attentes irréalistes de certains analystes, ne sera pas une mince affaire.
La compagnie devra conserver ses 80 millions de clients actuels (ce qui devrait être assez facile), en récupérer certains perdus au fil des ans et en gagner de nouveaux.
Personnellement, je crois que c’est possible (tout dépendant de comment RIM joue ses cartes pendant les prochains mois et les prochaines années), puisque je crois que plusieurs systèmes d’exploitation peuvent cohabiter sur le marché.
Mais ce n’est pas tout le monde qui partage mon optimisme, et pour plusieurs, seules une ou deux plateformes devraient à terme subsister.
La boutique d’applications
Les boutiques d’applications importent dans la mobilité moderne, et la boutique BlackBerry World sera certainement un élément avec lequel BlackBerry 10 sera jugé.
Pour l’instant, RIM prévoit avoir 70 000 applications dans sa boutique au lancement de BlackBerry 10 (et je ne serais pas étonné qu’il y en ait finalement un peu plus).
70 000 pour une nouvelle plateforme, c’est énorme. Surtout que Windows Phone, plus de deux ans après son lancement, n’offre «que» 150 000 applications.
Comme plusieurs le feront remarquer (avec justesse), 70 000 c’est toutefois quand même environ 10 fois moins que ce que l’on retrouve sur Android et iOS.
Heureusement pour RIM, la compagnie a un atout dans sa manche sur ce point. En effet, porter une application Android vers BlackBerry 10 est, dans bien des cas, un véritable jeu d’enfant pour les développeurs (c’est d’ailleurs pour cette raison que RIM pourra offrir autant d’applications au lancement).
Cette compatibilité relative pourrait donc assurer une vitalité à sa boutique d’application BlackBerry World plus importante que ce qu’elle n’aurait été autrement.
Dans tous les cas, à partir d’un certain point, ce n’est plus tant la quantité qui importe, mais la qualité. Il faut de bonnes applications, et il faut aussi les applications à la mode, les grosses nouveautés et les applications compatibles avec des accessoires ou les nouveaux services Web.
Et là-dessus, à moins que la compatibilité avec Android soit encore plus importante que je le croyais, RIM ne pourra tout simplement pas dépasser Android et iOS.
Est-ce que tout l’avenir de RIM va se jouer sur Instagram et les autres applications du genre? Je ne le pense pas, mais BlackBerry World devrait être un talon d’Achille pour RIM, et la compagnie devra mettre tout en œuvre pour attirer les développeurs et minimiser cette faiblesse.
Heureusement, les derniers mois semblent indiquer que RIM a compris cette importance, puisque la compagnie a multiplié les évènements pour développeurs à travers le monde, elle a organisé des concours et elle a carrément donné de nombreux cadeaux (et de l’argent) aux développeurs qui portaient leurs applications vers BlackBerry World.
Oui, les applications disponibles au lancement de BlackBerry 10 seront importantes. Mais à long terme, c’est l’attitude proactive de RIM envers ses développeurs (et surtout les développeurs Android!) qui le sera encore plus.
La valeur de l’action
La valeur de l’action est aussi souvent utilisée comme boussole pour prédire les succès d’une compagnie après une annonce.
On peut se douter que chaque mouvement du titre de RIM sera analysé au cours des prochains jours et des prochaines semaines.
Des mouvements qui auront toutefois souvent bien plus à voir avec de la spéculation qu’avec les résultats concrets de RIM.
Bon nombre d’investisseurs s’attendent aussi à ce que RIM soit racheté par une autre compagnie, ce qui contribue notamment à cette spéculation.
C’est en partie pour cette raison qu’une nouvelle insignifiante comme celle concernant le fait que Lenovo ait considéré à un moment donné le rachat de RIM a eu une visibilité aussi grande la semaine dernière (toutes les compagnies technos assez importantes en mobilité ont probablement considéré le rachat de RIM à un moment ou un autre. La seule chose de différente avec Lenovo est que le patron de la compagnie a été plus loquace que les autres à ce sujet).
Je ne suis pas en train de dire que la valeur de l’action de RIM n’est pas pertinente. Seulement qu’elle ne sera pas forcément garante du succès – ou de l’échec – de BlackBerry 10. À court terme, RIMM n’est pas RIM.
Les profits
RIM a déjà renoué avec la profitabilité, même sans nouveau téléphone à offrir, mais la compagnie devra en faire beaucoup plus si elle veut continuer à long terme.
BlackBerry 10 est né en grande partie d’acquisitions, de licences et de partenariats. Et il serait absurde de penser que les dépenses vont s’arrêter ici.
Si la compagnie veut demeurer dans le coup, elle devra faire de l’argent. Beaucoup d’argent.
Surtout que pour conserver son momentum et se défaire de son étiquette moribonde, la compagnie canadienne devra forcément lancer de nouveaux appareils fréquemment (et l’innovation ne doit surtout pas s’arrêter maintenant), ce qui demande forcément des fonds importants.
Séduire le grand public
RIM a conquis le marché de la mobilité à une époque en séduisant les gens d’affaires (et ceux des TI qui choisissaient leurs téléphones!). Pour que BlackBerry 10 connaisse du succès, RIM doit maintenant séduire le grand public.
Car les gens d’affaires choisissent de plus en plus leurs téléphones dans les entreprises. Et ce ne sont pas les fonctionnalités du BES qui vont les faire pencher d’un bord ou de l’autre. Ce sont les mêmes choses que le reste de la population : des appareils élégants, des applications tierces, un système efficace, une bonne première impression, etc.
La réception de BlackBerry 10 par le grand public au cours des prochains mois devrait être un indicateur assez intéressant pour estimer si la plateforme est sur le bon chemin.
Malheureusement pour RIM, certains des principaux avantages de BlackBerry 10 sont assez difficiles à expliquer. J’ai par exemple adoré le «BlackBerry Flow», une fonctionnalité (ou un paradigme?) qui rend BB10 fluide, et qui permet aux utilisateurs de passer rapidement d’une tâche à l’autre.
Le BlackBerry Flow rend en fait BlackBerry 10 beaucoup plus efficace que n’importe quel autre système d’exploitation mobile disponible en ce moment.
Maintenant, est-ce que des publicités éducatives (comme ce qu’Apple fait avec brio lorsque la compagnie explique les fonctionnalités de l’iPhone et d’iOS à la télé) seront suffisantes? Et de toute façon, est-ce que RIM aura les moyens de s’offrir des campagnes à la Apple? Ce n’est pas évident.
RIM devra être présent près des gens. RIM devra s’assurer que les vendeurs dans les boutiques Rogers, Telus, Bell, Vidéotron et cie expliquent bien son produit. RIM devra, idéalement, l’expliquer elle-même aussi souvent qu’elle le pourra.
Je pense d’ailleurs que les insuccès de Windows Phone viennent justement en partie du fait que Microsoft a mal expliqué son téléphone au grand public. Windows Phone est le téléphone intelligent parfait pour monsieur et madame tout le monde, mais personne n’a jugé bon de leur dire.
BlackBerry 10 vise plutôt les «power users», qui sont heureusement plus faciles à rejoindre.
Mais RIM ne m’a jamais convaincu que la compagnie était capable de s’adresser au grand public directement (sauf sur les réseaux sociaux), et je ne sais si la compagnie s’est dotée au cours des derniers mois des moyens pour le faire. Et ça m’inquiète un peu.
À suivre demain
Je serai à Toronto demain matin pour couvrir le lancement de BlackBerry 10. Nous aurons donc l’occasion cette semaine de revenir sur le nouveau système d’exploitation de Research in Motion et sur ses premiers téléphones BlackBerry 10.
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