CRTC: pour comprendre la facturation selon la capacité
S’il y avait deux choses à retenir de la décision d’hier du CRTC, ce serait probablement celles-ci : les petits fournisseurs d’accès à Internet (comme Primus et Distributel) pourront continuer d’offrir des forfaits illimités à leurs usagers, mais les clients de ces fournisseurs devront peut-être s’attendre à une hausse de leur facture mensuelle.
Et si on devait retenir une troisième leçon, ce pourrait être que la décision du CRTC est vraiment beaucoup trop complexe, autant pour les utilisateurs que pour les fournisseurs eux-mêmes!
Retour sur la décision de janvier dernier
En janvier dernier, le CRTC donnait raison au gros fournisseurs d’accès Internet, principalement Bell, en leur permettant de faire payer les petits fournisseurs d’accès (Fournisseurs de services Internet, ou FSI) en fonction de l’utilisation de leur réseau par leurs clients (Usage based billing, ou UBB).
Cette décision, décriée par à peu près tout le monde, incluant le gouvernement, aurait en quelque sorte forcé les petits fournisseurs d’accès indépendants à offrir des forfaits calqués directement sur ceux de Bell, avec une limite de téléchargement et avec des tarifs similaires.
Cette décision aurait donc grandement nuit à la concurrence chez les fournisseurs, alors que le CRTC voulait justement encourager cette concurrence lorsqu’il a exigé il y a plusieurs années que Bell loue justement son réseau à ces petits fournisseurs.
Notons que les FSI desservent 6% des Internautes au Canada, mais 17% au Québec et en Ontario.
Pour plus d’informations, je vous invite à lire ma chronique dans le Journal Métro du premier février dernier, Internet et facturation à l’utilisation : le CRTC fait fausse route.
Le CRTC se ravise
Dans sa décision annoncée hier le 15 novembre 2011, le CRTC s’est ravisé et a remplacé l’UBB par deux autres types de facturations pour les gros fournisseurs.
La facturation fixe, qui ne sera utilisée au Québec que par Telus (qui offre l’Internet à Québec, dans le Bas-du-Fleuve, en Gaspésie et sur la Côte-Nord), et la facturation selon la capacité, qui sera utilisée par Bell, Rogers et Vidéotron.
C’est cette dernière, qui devrait affecter la très grande majorité des utilisateurs.
La facturation selon la capacité du point de vue des gros fournisseurs
Pour comprendre l’impact de la facturation selon la capacité pour les utilisateurs, il faut tout d’abord saisir les répercussions pour les fournisseurs.
Les gros fournisseurs qui ont opté pour la facturation selon la capacité (Bell, Rogers, Vidéotron, etc.) pourront charger trois choses aux FSI: un tarif fixe par usager (qui varie selon la capacité – la vitesse – qui leur est allouée), un tarif en fonction de la capacité totale prévue par le petit fournisseur et d’autres petits tarifs. Nous y reviendrons plus loin.
Le CRTC a imposé des tarifs maximums aux gros opérateurs, tant pour la capacité que pour le tarif en fonction de la capacité totale.
Ces tarifs ne sont pas les mêmes, il est donc par exemple beaucoup plus rentable pour un petit fournisseur de louer le réseau de Rogers que de louer celui de Bell. Au Québec, notons aussi que Vidéotron sera aussi moins cher que Bell, il ne faudrait donc pas se surprendre de voir plus de petits fournisseurs offrir l’Internet par câble.
Les tarifs exigés par le CRTC sont des tarifs maximums, on pourrait donc voir la concurrence s’installer entre les grands fournisseurs pour attirer les fournisseurs indépendants, mais je ne gagerais certainement pas là-dessus.
La facturation selon la capacité du point de vue des petits fournisseurs indépendants
Les petits fournisseurs auront un gros travail à faire, suite à la décision du CRTC.
En effet, ceux-ci doivent maintenant prédire à chaque mois la capacité totale qu’ils auront besoin pour leurs utilisateurs.
Notons que la capacité dont ils auront besoin n’est pas la même que la simple addition de la capacité maximale de tous ses utilisateurs. En effet, si une compagnie a 10 000 abonnés, on peut présumer que ceux-ci ne téléchargeront pas tous en même temps.
Si les petits fournisseurs prévoient trop de capacité, ceux-ci dépenseront de l’argent inutilement, et si ceux-ci n’en prévoient pas suffisamment, la vitesse offerte aux utilisateurs pourrait être affectée pendant les heures de pointe.
Avec la popularité grandissante des services de vidéos en ligne comme Netflix et Tou.TV, cet impact pourrait grandement nuire à leur réputation et leur faire perdre des clients.
Les petits fournisseurs pourront également changer leur modèle d’affaires, en imposant par exemple une limite de bande passante aux usagers (ce qui limiterait la congestion), ou en offrant un mélange des deux, avec des forfaits illimités plus dispendieux, et des forfaits limités plus abordables.
La facturation selon la capacité pour les utilisateurs
Les petits fournisseurs d’accès Internet doivent encore réaliser leurs prédictions et calculer leurs nouveaux forfaits avant de les annoncer officiellement, on ignore donc quel sera l’impact exact de la décision du CRTC sur les utilisateurs.
Peut-être que la décision ne changera absolument rien aux forfaits actuels.
Mais selon les premiers échos, il semble toutefois acquis qu’une certaines hausse des frais est à prévoir. Reste maintenant à voir à combien s’élèvera cette hausse, et si elle touchera tous les forfaits.
On peut par exemple présumer que les forfaits moins rapides, ceux à 2 Mbit/s par exemple, ne sont pas utilisés par les gens qui regardent des vidéos HD en direct, et qu’ils affecteront donc peu la capacité totale utilisée par les fournisseurs. Ces forfaits pourraient donc demeurer au même prix.
Une chose est certaine, certains forfaits illimités demeureront, puisqu’ils représentent pour bien des fournisseurs indépendants le principal argument de vente par rapport aux gros fournisseurs.
Plus de forfaits câblés?
Pour l’instant, les petits fournisseurs d’accès Internet offrent surtout des forfaits ADSL au Québec, et peu de forfaits par câble, puisque Vidéotron impose sur ceux-ci une limite de téléchargement.
Ce ne sera plus possible grâce à la décision du CRTC.
Je ne serais donc pas étonné de voir les petits fournisseurs d’accès se tourner au Québec de plus en plus vers l’Internet de Vidéotron pour offrir leurs services.
En plus d’être désormais illimité pour eux, le réseau de Vidéotron est plus abordable que celui de Bell, puisque Vidéotron peut charger un maximum de 1890$ par tranche de 100 Mbit/s aux petits fournisseurs, alors que Bell peut charger 2213$ par tranche de 100 Mbit/s.
À titre indicatif, Cogeco peut charger 2695$, et Rogers peut faire payer 1251$.
Encore une fois, seul le temps le dira.
Un peu de clarté, SVP!
Plusieurs articles publiés aujourd’hui et hier se contredisent quant aux conclusions de la décision du CRTC.
Ceci peut être expliqué en partie parce que la décision est complexe dans sa nature même, par le fait qu’il n’y a aucun gagnant clair dans la décision et, aussi, par le fait qu’elle est formulée toute croche.
Honnêtement, serait-il possible d’expliquer les décisions plus clairement? Au minimum, expliquer les termes employés pour être certains que tout le monde soit sur la même longueur d’onde.
Dans la décision du CRTC par exemple, on parle tout le long de capacité, sans même expliquer ce que c’est.
Déjà que le CRTC n’est pas l’organisme le plus populaire, l’utilisation d’un langage opaque n’aide certainement pas sa cause.
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