Qu’est-ce que l’informatique en nuages
Connaissez-vous l’«informatique dans les nuages»?
Ceux qui utilisent un compte courriel Gmail plutôt qu’un logiciel comme Outlook ou ceux qui partagent des photos dans Flickr plutôt que de les sauvegarder sur leur disque dur ont recours, peut-être sans le savoir, aux possibilités du cloud computing – ou informatique dans les nuages. Selon ce modèle, il n’est plus nécessaire de conserver ses données sur son ordinateur. Tout ce qu’il faut pour accéder à ses courriels ou à ses photos, c’est une connexion Internet, peu importe où l’on est.
Les entreprises, les établissements et les institutions sont de plus en plus séduits par ce concept. Plutôt que d’encombrer leurs sous-sols de serveurs et de payer une armée de techniciens pour les entretenir, ils louent à des géants technos comme Google l’espace nécessaire pour stocker et traiter leurs données.
Celles-ci ne résident alors plus à un endroit précis, mais quelque part, en plusieurs copies, dans des centres de traitement où se trouvent des milliers d’ordinateurs formant ce que les informaticiens appellent un nuage.
Non seulement une connexion Internet suffit-elle pour accomplir les mêmes tâches qu’avant (traitement de texte ou d’image, utilisation de logiciels spécialisés en finance, en ingénierie ou autre), mais la vitesse d’exécution s’en trouve accélérée par l’action simultanée de toutes ces machines.
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Les répercussions du cloud computing sont énormes : de nouvelles façons de travailler et des économies d’argent, mais, en contrepartie, une perte d’indépendance et un risque pour la protection de la vie privée. Bénédiction ou malédiction? Hervé Le Crosnier, chercheur à l’Université de Caen, en France, pousse la réflexion.
Q › Quels sont les bénéfices du cloud computing?
R › Pour l’usager, l’un des avantages est que ses données sont enregistrées en plusieurs copies dans le nuage : si un ordinateur ou un centre de données tombe en panne, il ne perdra donc pas ses documents. Il est en fait plus sécuritaire de garder ses photos sur Flickr que de toutes les conserver sur un seul disque dur. Plusieurs utilisateurs peuvent aussi collaborer à un même document et y accéder de n’importe où, à condition d’avoir un accès à Internet.
De leur côté, les entreprises n’ont plus besoin de renouveler constamment leur infrastructure informatique, car celle-ci est désormais «dans les nuages», et les logiciels qu’elles utilisent sont toujours à jour. En effet, l’usage en réseau permet d’intégrer les améliorations des logiciels au fur et à mesure, plutôt que d’un seul coup comme c’est le cas lors de l’installation d’une nouvelle version.
En plus, l’informatique dans les nuages offre plus de puissance, puisqu’il est possible d’utiliser plusieurs ordinateurs en parallèle en cas de besoin.
La puissance des nuages a particulièrement été démontrée lorsque les responsables du New York Times ont numérisé tous les articles publiés par le journal depuis son lancement en 1851. S’ils avaient utilisé leurs propres ordinateurs – et c’est quand même le New York Times, ils sont bien équipés –, le traitement de toutes ces informations aurait pris plusieurs années. Le nuage de la compagnie Amazon a plutôt fait le travail en deux jours à peine.
Et, évidemment, les compagnies qui possèdent ces nuages – Google, Amazon et les autres – en bénéficient aussi, car elles amassent beaucoup d’argent en louant leur infrastructure.
Q › Qu’est-ce que cela change pour le travailleur de bureau moyen?
R › Dans un premier temps, il devra apprendre à utiliser les nouveaux logiciels en nuages. Mais comme ceux-ci seront améliorés graduellement, l’apprentissage sera plus doux par la suite (ndlr : il est plus simple d’apprendre les nouvelles fonctions une à une, au fil des mises à jour, que d’en apprendre plusieurs à la fois lors du lancement d’une nouvelle version).
Tôt ou tard, il y aura aussi une redistribution du travail dans les entreprises, pour faire une plus grande place au travail coopératif, qui permet à plusieurs personnes de collaborer à un même document à la fois. On pourra intervenir sur n’importe quel genre de document en réseau, que ce soit un manuel d’utilisation, un cours ou une feuille de calcul.
Cela va entraîner des changements importants dans les processus de travail. Et pas seulement pour la bureautique. En médecine par exemple, une radiographie pourrait être traitée dans les nuages et analysée par plusieurs médecins en même temps par la suite.
Q › Est-ce une révolution ou une mode?
R › Ce n’est absolument pas une mode. Quant à la révolution, ce n’est pas l’aspect technique de l’informatique dans les nuages qui est révolutionnaire, mais plutôt le passage aux logiciels collaboratifs.
Wikipédia est une preuve de la force du travail collaboratif. L’encyclopédie en ligne a quelques défauts, mais on a créé avec celle-ci la plus grande encyclopédie du monde en coordonnant des milliers et des milliers de personnes à travers la planète. C’est tout un exploit. C’est ça la vraie révolution pour les individus et pour les entreprises.
Q › Des emplois sont-ils mis en péril à cause de cette technologie?
R › La tendance en informatique est la même depuis 20 ou 30 ans. Il y a en permanence des métiers qui disparaissent et d’autres qui se créent, mais en général, le nombre de travailleurs dans les technologies de l’information augmente. L’informatique dans les nuages devrait poursuivre dans cette direction.
Q › De quelle manière l’informatique dans les nuages se compare-t-elle à l’outsourcing?
R › L’informatique dans les nuages est une forme d’outsourcing (ndlr : externalisation, soit le fait, pour une entreprise, de confier à un tiers la production d’un bien ou la prestation d’un service). L’entreprise fait un bénéfice économique, mais en contrepartie, perd un peu de son indépendance puisqu’elle perd le contrôle de ses moyens de production, soit les ressources informatiques.
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Q › Qu’arrive-t-il si les serveurs plantent, ou si par exemple l’entreprise propriétaire du nuage fait faillite?
R › Si un serveur tombe en panne, ce n’est pas vraiment grave, car les informations sont disponibles en plusieurs copies ailleurs dans le nuage.
Mais si, par exemple, Google fait faillite, c’est sûr qu’il y a un certain risque. Ça ne veut toutefois pas dire non plus que la compagnie éteindrait ses serveurs du jour au lendemain et que tout serait perdu. Les entreprises pourraient probablement rapatrier leurs données.
Q › Quels sont les dangers de l’informatique dans les nuages?
R › Dès que l’on externalise un travail, on devient dépendant du fournisseur de service. Il y a donc une perte de contrôle et d’indépendance. L’informatique dans les nuages pose également un problème quant à la protection de la vie privée. Toutes nos informations sont stockées sur des serveurs, et des logiciels peuvent les analyser afin de proposer des publicités ciblées qui deviennent tellement intéressantes que les usagers ne savent même plus qu’il s’agit de publicités.
Les compagnies qui possèdent les nuages peuvent aussi revendre ces informations à des tiers qui pourront les utiliser de toutes sortes de façons, notamment pour surveiller des populations, comme en Chine et aux États-Unis (ndlr : selon le quotidien USA Today, le gouvernement américain amasserait secrètement, depuis 2001, les relevés téléphoniques de dizaines de millions d’Américains dans le but de détecter des activités terroristes).
Q › Nos institutions deviennent-elles à la merci d’une poignée d’entreprises privées?
R › C’est effectivement un danger. Jusqu’à présent, les gouvernements géraient les informations sur les citoyens. Aujourd’hui, de plus en plus, ce sont les grandes entreprises qui le font, même si celles-ci ne sont pas élues et qu’elles sont guidées par leur propre intérêt, et non par l’intérêt général. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il y a un grand méchant loup.
Et comme dans les années 1930, lorsqu’ils ont créé des lois antimonopole, les gouvernements voteront probablement des lois qui limiteront le pouvoir de ces nuages. Du moins, je l’espère. Il serait également encore temps pour les gouvernements de créer leurs propres nuages, justement afin de ne plus être à la merci de ces compagnies privées.
Q › Un individu peut-il décider de s’exclure de l’informatique dans les nuages?
R › Ça ne me paraît pas raisonnable. Internet a transformé beaucoup de choses. Nous ne sommes plus dans un monde où nous accédons à l’information passivement, mais plutôt dans un monde de communication permanente. Sans les moteurs de recherche par exemple (ndlr : une forme d’informatique dans les nuages), bien des choses seraient inaccessibles. À moins, évidemment, de choisir de se passer du modernisme complètement…